Tom Twyker
Comment est née l’idée de ce film ?
Je pars toujours d’une image qui surgit dans ma tête et que j’ai envie de voir bouger. Alors je construis une histoire autour d’elle et j’en fais un film. Pour « Lola » j’avais cette image d’une femme qui court, filmée de coté, en plan moyen. Le cinéma est un médium explosif, énergique, qui exprime un sentiment de vitesse. Mais il peut aussi permettre de faire passer une émotion. Un personnage qui court rassemble ces deux sentiments, la vitesse et l’émotion, parce que c’est quand il est en mouvement qu’un personnage fait passer ce qu’il ressent : le bonheur, le chagrin, etc… Je voulais que « Lola » entraîne le spectateur dans une course folle, qui mêle le plaisir grisant de la vitesse et toutes les émotions que cette course fait naître.
Cette course folle démarre pourtant sur des questions philosophiques…
Je voulais simplement rappeler qu’aujourd’hui, on n’accorde plus beaucoup d’importance aux idéologies. On ne se préoccupe plus de l’avenir, il n’y a plus de projets. Du coup, le temps présent prend une grande importance. On vit au jour le jour, et on donne toute sa chance au hasard.
Comment avez-vous choisi le casting du film ?
Pour ce film, j’avais en tête les deux acteurs principaux, avant même de commencer à écrire. J’ai toujours pensé à Franka Potente, pour le rôle de Lola. Elle avait pourtant plutôt l’image d’une jeune fille sage et candide, dans ses précédents films. Elle peut véhiculer une image petite bourgeoise, qui va d’ailleurs assez bien au personnage de Lola dont le père est responsable d’une agence bancaire. Mais moi, ce que j’avais retenu d’elle dans ses précédents rôles, c’était une énergie vibrante, une force que je voulais pousser plus loin.
J’ai toujours trouvé que Moritz Bleibtreu, qui joue Manni, avait une présence incroyable. Dès qu’il apparaît, on le croit, on est de son côté. Il ne joue jamais, il est toujours sincère. Et, quand on le voit dans sa cabine téléphonique, il n’est pas question qu’on le laisse mourir…
Pour le film, je devais créer deux personnages qui soient forts tout de suite. Il faut que le couple qu’ils forment nous séduise. Il faut qu’on croit qu’ils s’aiment, il faut qu’on les aime, et il faut qu’on ait très envie qu’ils puissent rester ensemble. Le tout dans les cinq premières minutes…
Dans les rôles secondaires, on retrouve des acteurs qui sont connus en Allemagne.
Ce sont des gens avec qui j’ai l’habitude de travailler, ils m’inspirent, j’ai du plaisir à ce qu’ils soient là, quel que soit la taille de leur rôle.
Cette fois, j’avais une raison supplémentaire de tenir à leur présence. Je raconte l’histoire de Lola, parce que je l’ai distingué de la foule, mais j’aurais pu aussi bien raconter l’histoire de quelqu’un d’autre : M Meyer, Mme Hansen, etc…D’ailleurs, je le fais un peu, par petites touches. Alors, pour que ces personnages ait le temps d’exister, il faut qu’ils créent de l’émotion. Derrière chacun d’eux, il y a un autre bout de vie qui se profile. Même si ce sont des personnages secondaires, je veux montrer qu’ils comptent. Pour cela, je voulais que chacun joue son rôle, aussi mince soit-il, comme s’il était un personnage principal, primordial. Avec des acteurs de cette trempe, même le plus petit des rôles n’est jamais anodin…
D’où vient le cri de Lola ?
C’est sa façon à elle de traduire sa détresse, de s’exprimer quand elle panique et qu’elle se désespère de ne pas réussir à faire bouger les choses comme elle le voudrait. C’est un cri qui dénote à la fois une volonté féroce et une certaine nostalgie. C’est ce cri qui a inspiré la chanson générique du film : « I wish I was ».
A ce propos, la musique occupe une place essentielle dans le film.
La musique d’un film est toujours essentielle. Elle peut rendre grand un bon film, ou à l’inverse, rendre mauvais un film correct. Parce qu’elle intensifie tout. Imaginez « Il était une fois dans l’Ouest » sans musique ! C’est l’association musique + images qui fait un film. Moi, j’écris, je pense, je tourne et je monte de façon très musicale, donc, il était logique que je veuille m’occuper de très près de la bande sonore. J’ai pris des leçons de piano depuis l’enfance, et j’aime composer. J’ai collaboré, comme sur mes films précédents, avec les mêmes musiciens, Johnny Klimek qui vient de la techno et Reinhold Heil qui s’occupe des claviers, des synthés. Avec ma formation plus classique, c’est un mélange intéressant. Je ne voulais surtout pas d’une musique techno standard pour ce film. Et c’est la première fois que j’ai réalisé, pour la musique d’un film, un disque pop, un disque de « dance ». Ce que j’aime, c’est que le film et la musique deviennent indissociables. Qu’une image du film vous mette la musique dans la tête, et que la musique du film vous renvoie aux images.
Lola a-t-il un rapport avec vos deux films précédents « Deadly Maria », et « Wintersleepers » ?
Mes films sont très différents, mais je me reconnais dans chacun d’eux. Il y a des thèmes récurrents dans les trois. Le temps, par exemple, et comment on le manipule. Créer le temps est un des aspects les plus excitants de la mise en scène. Vous pouvez raconter une histoire sur vingt ans…ou sur vingt minutes. L’essentiel dans « Lola », c’est que le spectateur sente que Lola vit réellement les trois possibilités que nous montrons dans le film. Il faut que le public se sente en symbiose avec elle au fur et à mesure qu’on avance dans le film, et espère qu’elle sera récompensée pour tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle traverse, par amour.
Comment avez-vous conçu le film, visuellement ?
Je l’ai storyboardé de façon très précise, parce que chaque détail avait une énorme importance. Où se trouve très exactement ce personnage dans cette scène à cet instant ?Comment faire en sorte que la caméra ne montre que ce qui est important dans cet instant et pas le reste ? En plus de tout cela, l’action se déroule dans un certain laps de temps, un certain jour. Donc, la lumière et la météo doivent être toujours les mêmes. Et il y a toutes les horloges qu’on voit dans le film. Quel heure est-il dans ce plan ? Moins dix ? Moins six ? On a mis des heures à résoudre ces problèmes là. Le concept visuel étant au cœur du film, la préparation a été très précise, très technique.
Quel a été le plus grand défi, sur ce film ?
Le timing est essentiel dans le film, cela a été le grand casse-tête du montage.. Le rythme du film est très rapide, mais il faut que le public ait le temps d’organiser dans sa tête tout ce qu’il voit. Donc, il fallait éviter de casser le rythme, et passer d’une période à l’autre de façon fluide, pour que le spectateur n’ait aucun mal à s’y retrouver émotionnellement. Le passage d’un acte à l’autre doit se faire sans qu’on ait le sentiment de marquer une pause. Il faut garder en permanence le sentiment d’urgence, la pression du temps qui passe.
On a donc choisi deux niveaux de lecture, chacun ayant son look propre. Les séquences de Lola et Manni sont tournées en 35mm. Celles où Lola et Manni ne figurent pas sont tournées en vidéo, pour que cela soit comme un monde virtuel, artificiel. Lola et Manni sont au centre de leur monde, là où des miracles peuvent toujours se produire, comme au cinéma. Leur image est vraie, c’est une image de cinéma. Celle des autres semble fausse, en comparaison. Et ce n’est que lorsque Lola court à l’intérieur d’une image vidéo que celle-ci devient film.
Pourquoi avoir intégré des images de dessins animés ?
Faire un film sur les possibilités qu’offre la vie, ça vous pousse forcément à faire un film sur les possibilités qu’offre le cinéma. C’est ainsi qu’est venue l’envie de mettre du noir et blanc, de la couleur, de la vidéo, du ralenti, et du dessin animé. De nos jours, on peut jongler avec toutes les techniques, elles ne sont plus isolées. Grâce aux multimédia et à Internet, tout est mélangé, et simultané :l’image, le son, les informations, les marchés, les pays…On a une autre perception du monde, aujourd’hui, et j’avais envie de montrer cela dans un film.
Le dessin animé est ce qui dit : « Tout est possible ». Donc, dans le film, la séquence de dessins animés représente le point de départ des variations et des enchaînements, un peu comme dans un jeu de dominos.
Est-ce un film berlinois ?
Le film a Berlin pour décor. On montre la ville telle qu’elle est aujourd’hui. Aucune ville n’est vivante et synthétique comme l’est Berlin. On y trouve de grandes avenues grises, sans verdure, sans habitants, mais chargées de fantômes. Dans un sens, Berlin ressemble à un grand studio, dont les chemins sont vides, et les rues libres, pour Lola, et pour ce qui la fait courir.
Maintenant, le film se passe à Berlin, parce que c’est là que je vis. Mais il pourrait se passer n’importe où : à Pékin, Londres ou New York. Le décor serait différent, mais les émotions seraient les mêmes. C’est l’amour qui fait bouger Lola et déplacer des montagnes. Tout le monde peut s’identifier à cela, quel que soit le décor où l’action se passe.
C’est Franka Potente elle-même qui court durant tout le film ?
Oui, et croyez-moi, vu le poids des Doc Martens qu’elle a aux pieds, elle a dû souffrir…Franka fait un peu de jogging, mais c’est tout, elle n’a rien d’une athlète. C’est exactement ce qu’il fallait pour ce personnage. Lola est portée par son désir de sauver Manni, et cela la rend forte, mais en même temps, c’est un fille normale, pas une sportive, ni une marathonienne. On l’imagine fumant trop de cigarettes et mangeant des hamburgers. Elle est comme tout le monde, et c’est essentiel pour le film. On s’identifie complètement à elle, ce n’est pas une super woman, juste une fille amoureuse qui court parce qu’elle n’a pas le choix.
Lola est-il un film d’un genre nouveau ?
Seulement vu de l’extérieur. Les moyens ne changent en rien la façon de raconter une histoire. Et l’histoire fonctionne selon des principes de structure classique. Dans Lola, il y a une histoire d’amour, une demande qui traverse le film, et une action pour répondre à cette demande. C’est l’éternelle quête du Gral. Sauf qu’ici, le Gral vaut 100 000 marks…