En 1870, Jamie Dodd, un anthropologue écossais, ramène dans son pays un couple de Pygmées africains.
Ces "nains sauvages" sont très vite l'objet de convoitises. Certains y voient l'origine de l'homme,
d'autres veulent en faire des bêtes de foire. Lui seul les regarde, non comme des sauvages,
mais comme des humains.
Avec : Joseph Fiennes, Kristin Scott Thomas
Fiche complèteMan to man
Réalisateur : Régis Wargnier
Sortie en salle : 13-04-2005
Avec :
Joseph Fiennes, Kristin Scott Thomas
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Bande annonce
- 122 min
- France
- 2004
- 1.85
- Dolby Digital / DTS
- Visa n°97.135
Synopsis
En 1870, Jamie Dodd, un anthropologue écossais, ramène dans son pays un couple de Pygmées africains.
Ces "nains sauvages" sont très vite l'objet de convoitises. Certains y voient l'origine de l'homme,
d'autres veulent en faire des bêtes de foire. Lui seul les regarde, non comme des sauvages,
mais comme des humains.
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Fiche artistique
Jamie Dodd Joseph Fiennes
Elena Van Den Ende Kristin Scott Thomas
Alexander Auchinleck Iain Glen
Fraser McBride Hugh Bonneville
Toko Lomama Boseki
Likola Cécile Bayiha
Abigail McBride Flora Montgomery
Zachary Patrick Mofokeng
Beckinsale Alistair Petrie
Comte de Verchemont Hubert Saint-Macary
Hector Duncan Mathew Zajac
Angus William Macbain
Douglas Robin Smith
Purvis Theo Landey
Sir Walter Stephenson Ron Donachie
Gyllenhall Peter Egan
Bakaro Solomon Fietse
Roi Mateke Seko James Ngcobo
Rajiv Percy Matsemela
Milos Sello Motloung
Vijaya Lakshantha Abenayaké
Andrew Gordon Brown
Fiche techniqueRéalisé par Régis Wargnier
Produit par Aïssa Djabri
Scénario William Boyd
D'après une idée originale de Michel Fessler
Musique Patrick Doyle
Image Laurent Dailland
Décors Maria Djurkovic
Costumes Pierre-Yves Gayraud
Montage Yann Malcor
Son Guillaume Sciama
Maquillage & Coiffure Daniel Phillips
1er Assistant Réalisateur Nick Heckstall Smith
Casting Celestia Fox
Direction de production Gérard Crosnier
Producteur exécutif Steve Clark Hall
Une production Vertigo Productions
En coproduction avec Skyline (Man to Man) Ltd
Avec la participation de TPS Star
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Régis
WargnierComment le projet "Man to Man" est-il entré dans votre vie ?C'était il y a trois ans. Je travaillais à un projet sur Saint Exupéry, pour une société américaine indépendante. Cela ne s'est finalement pas fait, sans doute parce que nous n'avions pas le même point de vue. Pour les américains, il fallait réaliser une biographie panégyrique, tandis que moi je m'intéressais aux zones d'ombres, de contrastes du personnage. A la même époque, je me suis passionné pour le roman de l'ethnologue François Bizot "Le portail" dans lequel il raconte son expérience de prisonnier des Khmers rouges au Cambodge. Mais après l'avoir rencontré, j'ai compris que ce livre était son enfant. Il en est le héros, et je crois qu'il aurait du mal à laisser sa vérité devenir celle de quelqu'un d'autre. Toujours est-il que ces deux projets me "prenaient la tête", lorsque par hasard, je croise Farid Lahouassa, l'un des producteurs de la société Vertigo. On se connaissait un peu, et j'avais rencontré son partenaire Aissa Djabri lors d'un voyage organisé par Unifrance à Budapest précédemment. Donc, je croise Farid qui me dit : "J'ai quelque chose à vous faire lire". Il me présente Frédéric Fougea, co-auteur, avec Michel Fessler d'un sujet d'environ trente pages, intitulé "Toko et Likola". On y trouvait déjà beaucoup d'éléments qui sont dans le film. Mais ce texte avait un point de vue très différent de "Man to Man". En effet, les deux scénaristes avaient adopté le point de vue des pygmées qui découvrent l'Ecosse, où les accueille un lord un peu neurasthénique, et pas vraiment anthropologue, doté d'une épouse elle-même dépressive. Il y avait aussi un vrai méchant, le pourvoyeur de zoos qui avait fourni les pygmées. J'ai tout de suite aimé que les pygmées soient confrontés à un écossais qui finalement prend leur parti. Mais se placer du point de vue des pygmées me gênait. Les pygmées, je ne les connais pas. Ce qui m'intéresse en eux, c'est leur mystère. J'ai donc voulu inverser l'histoire, en passant par les personnages européens, afin qu'à travers eux, peu à peu, soit révélée l'humanité des pygmées. On peut plus facilement s'identifier à des personnages proches de nous, en l'occurrence, écossais, que j'ai voulu démultiplier en trois afin d'élargir les points de vue. D'autre part, c'était chez moi un désir profond, j'avais besoin d'un important personnage de femme européenne. Là étaient les grandes lignes de mes réactions à cette lecture. En gros je leur ai dit : "Voilà la direction dans laquelle j'aurais envie d'aller". J'avais besoin de m'emparer de cette histoire, à ma façon. C'est ce qu'attendait le producteur. En dix jours, juste avant l'été, on s'est mis d'accord. En septembre, on s'est mis au travail.Pourquoi ce sujet, maintenant ?Parce que c'est toujours le moment. Nous sommes hélas encore dans une époque de racisme, d'incompréhension, de lutte. Mon attirance plus profonde pour ce sujet vient aussi de mon passé. Je suis né après la deuxième guerre, dans une Europe encore très pleine de relents racistes, même après la découverte des camps nazis. J'habitais l'Est de la France, une région encore nourrie de racisme et d'antisémitisme. Mon père était militaire, attaché aux valeurs, à l'esprit des guerres coloniales. L'expansion des empires coloniaux était justifiée par le fait qu'on ramenait dans les métropoles des indigènes vivant dans nos colonies, on montrait à quel point ils étaient sous développés, dans notre point de vue, et ainsi on confortait notre mission civilisatrice, on justifiait l'expansion et la guerre. On nous prouvait qu'on allait chez eux pour leur apporter les lumières, l'éducation et le progrès. Les missionnaires faisaient des expositions dans les collèges, j'en ai connu dans le mien, avec photos, dessins, discours de triomphe du blanc, de sa philosophie, de sa morale, et description de ces gens qu'il fallait sauver de la sauvagerie. Cette imagerie était encore très présente dans les esprits à la fin des années cinquante. J'ai de plus en plus de mal à trouver des histoires qui me mobilisent. C'est pourquoi le temps entre mes films est de plus en plus long, même si je n'ai pas arrêté de travailler. Trois ans, puis quatre, et cette fois, cinq années d'écart avec mon film précédent. Là j'ai été emporté, sans doute parce qu'une partie de moi, de ce que j'ai vécu, m'a poussé vers cette histoire. Bien sûr, le racisme est toujours d'actualité. Mais je ne voulais pas faire un film à thèse. Dans "Man to Man", il y a une dramaturgie, des personnages, et si à travers eux, par le biais de cette histoire, le cœur du spectateur est touché par les pygmées, on aura gagné.Comment s'est déroulée l'écriture à trois ?Nous avons travaillé sur une période de six mois, entrecoupés de "séminaires", c'est-à-dire que nous somme partis loin de la vie parisienne, afin d'écrire, de travailler du petit déjeuner à l'après dîner. Nous avons vécus une écriture très intense, avec de grandes joies et des conflits aussi. Trois personnes pour écrire trois savants, forcément chacun devenait un personnage, et se sentait agressé par les autres. Il y a beaucoup de nous-mêmes dans les scènes conflictuelles…Pourquoi en avoir fait des ethnologues écossais ?J'étais séduit par cet exotisme européen, l'Ecosse, répondant à l'exotisme africain. Dans ces années là, l'anthropologie était une science essentiellement britannique. J'ai découvert qu'Edimbourg était une des universités les plus prestigieuses en recherche d'anthropologie et de médecine. Il fallait donc envisager le film en langue anglaise. Pendant nos séminaires, nous avons revu des films dont j'avais emporté des cassettes. "Howard's end" pour la qualité du stylisme et de l'esprit anglais, "Moutains of the moon" de Bob Rafelson, pour l'Afrique, "Rainman" pour les asociaux, et puis aussi “L'enfant sauvage", "Elephant Man" pour l'époque et la vision de Londres…Vous avez souvent collaboré avec des romanciers, sur "Indochine" et sur "Est-Ouest". Comment William Boyd est-il arrivé sur ce projet ?Nous sommes amis depuis longtemps. J'ai toujours aimé ses livres. Je l'avais contacté il y a une dizaine d'années pour écrire un scénario en français avec lui. Le film ne s'est pas fait, mais nous l'avons écrit ensemble. C'était un sujet original, une sorte de western qui se déroulait en Asie centrale. Une comédie avec pour contexte l'implosion de l'URSS. On voyait l'Occident qui se précipitait en Asie centrale pour ses richesses, la nostalgie du communisme, le tout autour d'un trafic de chevaux. C'était la première fois que William collaborait avec quelqu'un. Cela lui a plu. Nous sommes restés proches. Il a vu mes films. J'ai vu celui qu'il a réalisé, "La tranchée". Je passe le voir dans sa résidence française chaque été. Il y a trois ans, je lui ai parlé de ce sujet sur lequel je travaillais, des écossais étudiant des pygmées. William est écossais, il a grandi au Ghana et au Nigéria, il a écrit "Brazzaville plage", un livre africain, l'Afrique est une partie de sa vie. Quelques mois plus tard, je l'ai appelé pour lui dire qu'on avait décidé de faire ce film en anglais. Nous avions à peu près cent quarante pages de continuité dialoguée. William partait pour New York, il l'a lu en français dans l'avion et m'a appelé en arrivant. "C'est extraordinaire, je veux le faire avec toi". Dès son retour, il a traduit cette continuité en l'adaptant, et on a écrit ensuite trois versions du scénario en anglais tous les deux ensemble. Lui adore parler français, et moi anglais, chacun avait sa coquetterie… William a été très impliqué dans la précision du scénario et des dialogues. Mais, au-delà de l'écriture, il a fait bien plus que son travail de scénariste-dialoguiste. Il a été comme un conseiller artistique. Il organisait à Londres les rendez-vous qu'il fallait, il connaissait les agents des collaborateurs potentiels que je rencontrais, il intervenait discrètement, au bon moment. Il n'a pas été très heureux de ses expériences hollywoodiennes, car il se heurtait toujours à des intermédiaires. Je crois qu'il a été heureux de pouvoir cette fois travailler en direct avec le metteur en scène, et de l'aider directement.Comment définiriez-vous ce que William Boyd vous a apporté ?C'est très simple : Il a apporté l'Angleterre, et plus précisément, la société britannique victorienne, avec ses mœurs, ses comportements, son système de classe, et cette émotion toujours contenue. Il a apporté beaucoup de nuances. Il a véritablement remis le scénario dans une perspective victorienne, ce mot que j'ai entendu durant plus d'un an en préparant et en tournant le film. Victoria a régné longtemps, et durant tout ce temps, l'Angleterre régnait sur le monde. Il a aussi contrôlé le foisonnement de notre première version, il y a mis de l'ordre.Il y a beaucoup de rebondissements dans l'intrigue, qui ne sont jamais prévisibles mais qu'on finit par trouver inéluctables…J'adore les rebondissements en tant que spectateur. J'aime être surpris, emmené là où je ne m'y attends pas, à condition que je reconnaisse la validité de ces accidents de parcours. Ce sont comme des dés qui roulent. On croit qu'ils vont s'arrêter, mais parfois, ils continuent de rouler et cela change la donne. Ce qui nourrit l'essentiel de ces rebondissements, c'est l'arrogance des trois écossais, leurs certitudes. Et ces rebondissements sont à chaque fois pour Jamie une prise de conscience qui l'éloigne des deux autres et le rapproche des deux pygmées.Que saviez-vous sur les pygmées ?Je connaissais ce que j'avais appris, en faisant des recherches, en visionnant des documentaires. J'ai lu beaucoup, et notamment j'ai découvert l'histoire vraie d'un pygmée emmené par un américain dans son pays et qui a été exposé à la foire de St Louis en 1905-1906. Mais j'ai le plus appris sur les pygmées en travaillant avec Lomama, qui joue le personnage de Toko. Pour les connaître, il faudrait passer un an au moins, avec eux, dans leur village. C'est pourquoi le film se tient à une certaine distance d'eux. Il s'approche d'eux comme Jamie s'approche d'eux, lentement, au fur et à mesure. Le moment clé de leur rencontre c'est bien sûr la scène de leurs deux ombres, en Ecosse, et le rapport entre eux s'achèvera par leurs deux ombres jointes…Vous-même, quand vous mettez en scène les pygmées, vous les manipulez. Comment fait-on pour convaincre un pygmée qu'il doit se laisser enfermer dans une cage ? Comment faire pour qu'il ne se sente pas agressé par cette situation ?C'était mon souci majeur, que j'ai résolu en appliquant ce que j'ai appelé "Le Jamie's principle". Dans le film, ce que Jamie fait, Toko accepte ensuite de le faire. J'ai appliqué ce principe sur le tournage. C'était en effet compliqué de se dire : je vais mettre Lomama et Cécile en cage, je vais les enfermer, les attacher. Ils ne sont pas acteurs, ils n'ont pas forcément conscience qu'il s'agit d'un travail. Comme Jamie qui chantonne en prenant les mesures de sa propre tête pour montrer que "tout va bien", moi j'entrais le premier dans la cage, puis j'appelais le cadreur, et je lui montrais le découpage en jouant le rôle de Toko. En faisant cela, je dédramatisais la situation pour Lomama, je lui montrais que c'était tout simplement du travail.Entre les écossais et les pygmées, la musique de Patrick Doyle a choisi son camp…Patrick a tenu à faire, dès le début du film, une musique qui est du coté des pygmées. C'est une musique à la fois énigmatique et compassionnelle, qui nous fait ressentir, à chaque fois que les écossais travaillent avec les pygmées, à quel point ils les manipulent et les exploitent. Contrairement à ce qui se fait d'habitude, Patrick a choisi de ne jamais faire de musique d'action, ou de suspens. Même quand le film va dans ces directions, c'est une musique émotionnelle qu'il a composée, ce qui fait ressortir à la fois l'arrogance des savants, et la façon dont les pygmées réagissent à leurs manipulations.Vous travaillez avec lui depuis "Indochine". Comment l'avez-vous rencontré ?Un soir, il y a quelques années, je regardais à la télévision l'émission de Bernard Pivot "Bouillon de culture". Il parlait du "Henri V" de Kenneth Branagh. Gérard Depardieu distribuait le film et avait lui-même doublé la voix de Branagh. Là-dessus on nous montra un extrait d'à peine une minute, parlé en anglais, puis en français. Sous les voix il y avait une musique. J'ai tout de suite été attiré par ce que je décelais, un sens lyrique, épique. Le lendemain, j'ai contacté l'agent de Patrick Doyle… Je travaillais alors sur "Indochine", et George Delerue, à qui j'avais pensé, n'était pas disponible, car il composait la musique de "Dien Bien Phu". Quand j'écoute la musique que Patrick a composé pour "Man to man", quand j'entends la richesse, la variété de ses thèmes, je sais à quel point il a aimé le film. Je crois qu'il s'est senti plus proche de celui là que des précédents, sans doute car c'est un film anglais, donc il en perçoit toutes les nuances. En plus, Patrick est écossais…Comment avez-vous trouvé, et choisi, ceux qui incarnent Toko et Likola ?Chaque fois que quelqu'un lisait le scénario, les producteurs, les distributeurs, les acteurs, les financiers, on me posait la même question : "Comment allez-vous trouver les pygmées" ? Et je répondais invariablement : "Je n'ai pas le choix. Je les trouverai". A chaque film que j'ai réalisé, j'ai eu un défi de casting à relever : trouver les deux enfants du "Seigneur du château", trouver la Vietnamienne de seize ans pour "Indochine", etc… Le défi des pygmées de ce film était évidemment le plus difficile... Il fallait les avoir trouvés en Novembre, pour un tournage démarrant en février. Nicolas Ronchi, qui s'est occupé de ce casting, était sur place à Abidjan pour un film d'Eliane De Latour, alors on lui a demandé de rester plus longtemps et de chercher pour nous. Il a parcouru plusieurs pays : Côte d'Ivoire, Gabon, Cameroun, il est allé au "Congo Brazzaville", et aussi au "Congo Kinshasa", l'ex- Zaïre. On a cherché partout où il y a des pygmées, sauf en Centre Afrique, car là bas c'était vraiment trop dangereux. On cherchait également des Africains petits, c'est-à-dire mesurant moins d'un mètre cinquante. On cherchait dans les villes où les pygmées se sont retrouvés après la déforestation, et où végètent quelques groupes folkloriques. Nicolas a rapporté de son périple énormément de cassettes. Je les ai visionnées, j'ai fait des choix. Il est reparti à Kinshasa, puis à Brazzaville, où je l'ai rejoint, en rentrant d'Afrique du Sud. Là, il m'a montré de nouvelles cassettes, et j'ai vu un visage qui m'a accroché. C'était Lomama. Il était membre d'un groupe folklorique qui participait à des émissions de télévision. On l'a contacté, pour qu'il vienne de Kinshasa avec Sabrina, la productrice de l'émission. Pour leur faire traverser le fleuve Congo, cela a nécessité l'obtention de visas provisoires et l'envoi de dollars. Et enfin Lomama est arrivé un beau jour avec trois heures de retard, sur une chaloupe bourrée d'une centaine d'Africains, dans un endroit qui s'appelle "Le Beach" et qui n'a rien de luxueux. C'est la misère, le bord du fleuve, la frontière, on y croise des mendiants, des faux flics, des faux douaniers. De la chaloupe est descendue une star avec une tenue africaines insensée, c'était Sabrina, et derrière elle, un petit bonhomme en jean avec un sac à dos, Lomama. J'ai eu un flash en le voyant. Le soir même, on est allé filmer des essais au centre culturel, avec une jeune interprète qui parlait le Lingala, le dialecte de Lomama. Je lui ai d'abord fait jouer des choses silencieuses. "Entre toi et moi, il y a une grille, et je veux que tu me regardes avec incompréhension et haine." "Maintenant, tu parles, tu dis dans ta langue ce que tu as envie de me dire". "La jeune fille qui joue avec toi, (une congolaise du centre culturel) est enfermée avec toi, elle t'en veut de sympathiser avec ceux qui vous ont enfermés, et tu lui expliques qu'elle n'a rien compris, que c'est un piège que tu tends à tes geôliers, tu le lui dis dans votre langue". C'était une évidence. Il était juste, il était énergique, et il avait envie de bien faire. Il parlait peu le français, mais il connaissait le mot "patron", qui est presque un mot africain. J'avais envie de le remercier, je ne savais pas comment faire, alors je lui ai dit en mimant mes paroles : "J'ai vu avec la tête, les yeux, et le cœur, que tu as fait un bon travail." Et il m'a dit : "Oui, mais toi c'est le patron." ça a commencé comme ça. Il me faisait rire, je le faisais rire. Je savais que j'avais trouvé Toko. J'ai appelé Farid pour le lui dire: " Je l'ai trouvé, je te le passe". Et Lomama lui a dit : "Ah, autre patron, alors !". C'est comme ça que j'ai trouvé l'acteur qui joue Toko. Mais avec quelle inconscience de notre part ! Car parcourir cinq pays africains de nos jours comporte de sérieux risques. J'ai eu des ennuis avec l'armée en Côte d'Ivoire, j'ai même eu peur pour ma vie, dans une situation avec des militaires. L'Afrique, c'est un continent où on vous vend des billets pour un avion qui n'existe pas. On attend six heures, sans savoir si l'avion passera ce soir ou si c'est dans huit jours…Une fois Lomama choisi, cela a-t-il été compliqué de l'engager ?C'était la deuxième phase. Il a fallu qu'on lui fasse faire des papiers, qu'on lui qu'on lui obtienne des visas. Il fallait aussi qu'il ait envie de partir pour faire le film, qu'il comprenne ce que cela représentait, qu'il accepte de quitter longtemps sa famille, car il a une femme et des enfants. C'est Sabrina qui a discuté de son cachet pour lui. C'était une somme forcément très importante pour lui, même si elle est inférieure à ce que touche un acteur professionnel anglais. La complication était que tout passait exclusivement par Sabrina, et comment savoir ce qu'elle lui racontait ? Elle nous disait "Les pygmées sont des sauvages, des animaux. Une fois sur place, il voudra s'évader, alors je vais l'accompagner, et je l'amènerai chaque matin sur le plateau, je m'en occuperai". Mais pour ce faire, elle l'a maintenu dans une vraie dépendance, elle a gardé un pouvoir sur lui.
Par exemple, quand on lui a dit qu'on avait choisi Lomama, elle nous a répondu : "Si vous le lui dites maintenant, tout le monde va le lyncher pour lui prendre un argent qu'il n'a pas encore. Laissez moi faire." Un matin, elle lui a dit : "Prends ton sac". Il s'est retrouvé à l'aéroport sans avoir dit au revoir à personne, direction Nairobi, Johannesburg, et enfin Durban. Elle a débarqué avec trois cent kilos de vêtements, et lui derrière elle, avec son sac à dos. C'est en me voyant qu'il a compris… Jusqu'au bout, jusqu'à leur arrivée sur les lieux du tournage, elle lui avait fait croire qu'ils étaient plusieurs candidats, et que je n'avais pas encore choisi.Et comment avez-vous trouvé Cécile, qui joue Likola ?Je l'ai vu la première fois sur une cassette apportée par Nicolas d'une manière étonnante. Au Cameroun, il avait rencontré une femme, Chantal, qui avait de l'expérience en production sur des films camerounais. Elle est francophone. Il lui a demandé de l'aider dans nos recherches. Un jour où Chantal était chez sa cousine, elle a vu une gamine dans la cuisine. "Tu vois, je cherche une femme pas plus grande que ta nièce de douze ans". “Tu te trompes" a répondu la cousine, "ma nièce a vingt et un ans". Chantal l'a aussitôt filmée. Quand j'ai vu le visage de Cécile sur la cassette, j'étais fascinée par son regard, un regard perdu qui exprimait de l'incompréhension, presque de l'inquiétude. Cécile est une africaine petite, et elle n'a jamais manqué de me rappeler qu'elle n'était pas pygmée…Revenons aux écossais. Si c'est Jamie qui part capturer les pygmées, c'est parce que, contrairement aux deux autres, il n'a ni fortune ni famille ?Pour accepter de faire une telle expédition, il fallait n'avoir rien à perdre. Ni rang, ni fortune, ni famille. A l'époque, un homme sur deux ressortait vivant d'un tel voyage. Entre les guerriers, les fièvres, les maladies... Nous aurions pu montrer l'expédition, la rencontre avec Elena, le rapport avec les tribus, mais cela aurait été un autre film. Notre choix était de commencer sur la capture, pour, le plus vite possible, confronter les pygmées aux trois savants. On n'a montré que quelques éléments : les guerriers tués pendant la capture, le pouvoir du roi, la bagarre dans la pirogue, les blessures, et les fièvres. Et le peu qu'on montre suffit à comprendre que ce voyage a changé Jamie. Ses amis le lui disent quand ils se retrouvent. "You look well-travelled". Jamie ne le sait pas encore, mais il rentre transformé. On ne revient pas indemne d'un tel voyage.Comment décririez-vous les deux autres ethnologues ?Alexander est le plus rigide dans ses convictions, avant que la foule et la bêtise collective ne le débordent... Alexander veut aller au bout de sa réussite, car il est convaincu de ce qu'il a fait. C'est un aristocrate éclairé, un passionné d'anthropologie, et comme il est le plus riche des trois, c'est lui qui a financé toute l'opération. Fraser est le plus savant des trois, c'est celui qui lit, qui travaille, qui recherche. Il est persuadé que ces pygmées sont au plus bas de l'échelle humaine, juste au dessus du grand singe. Mais il est physiquement attiré par Likola. Malgré son intelligence, ses connaissances, ses raisonnements, il se rend compte que son corps la désire, et c'est cela qui le rendra fou. Il est le préféré de Likola. Ils se sont rencontrés à travers la musique. Fraser croit vraiment que Jamie est le père de l'enfant que porte Likola, et cela le rend aussi fou de jalousie. Sa femme, Abigail, est une victorienne conventionnelle, typique de son époque. C'est aussi une Cassandre. Elle a peur de ce projet, elle a des pressentiments. Elle pense la même chose que ce guerrier, au début du film, qui dit à Jamie, en parlant des pygmées qu'ils viennent de capturer : "Ils vont vous jeter un sort". Je crois que le film raconte cela. Les trois Ecossais ont sorti les pygmées de la forêt et ils sont punis. Fraser, l'homme de la recherche, la tête pensante, perd la raison. Alexander, le plus éloquent, celui dont le discours séduit l'Académie des Sciences, perd la parole. Jamie, le médecin, sera banni de son de son pays. Chacun a perdu ce qu'il avait de plus cher. Alexander et Fraser n'ont pas choisi, et ils ont tout perdu. Jamie, lui, a renoncé à tout statut social. Il n'a plus rien, il est donc libre.Comment avez-vous choisi vos trois acteurs ?Pour le rôle de Jamie, j'avais rencontré Clive Owen qui voulait absolument le faire, mais qui n'a plus été libre aux bonnes dates. Puis j'ai rencontré Joseph Fiennes, et j'ai été aussitôt séduit par son regard, sa sensibilité. Je suis un fan de Ian Glen depuis "Les sources du Nil" ( Mountains of the moon) de Bob Rafelson. Il a lu, on s'est vus à Edimbourg, où il jouait "La mouette", au théâtre. Il aimait beaucoup le personnage et m'a posé les bonnes questions sur les convictions scientifiques d'Alexander. Pour Fraser, j'avais choisi Kevin Mac Kidd, mais il a été bloqué par le plan de travail du nouveau Ridley Scott. Je l'ai appris trois semaines avant le début du tournage, alors que j'étais déjà parti en Afrique du Sud. J'ai donc pris un vol de nuit pour Londres, j'y ai rencontré huit acteurs, et je suis reparti le soir même en disant : "Mon préféré est Hugh Bonneville". Mais je ne savais même pas s'il était libre, à quel prix, etc… Il est venu au casting durant la pause déjeuner, on a bu un café ensemble. Il m'a dit : "J'ai une question. Pourquoi Fraser devient fou" ? J'ai répondu : "Parce qu'il bande pour le chaînon manquant". "Oh, OK ! " Il a tout de suite compris. En plus, il avait déjà tourné avec Ian, donc leur amitié était réelle.Puis vous avez créé le personnage d'Elena…Elena est née de ma série de personnages féminins. Il y a de l'"Indochine" en elle... C'est une femme marginale, qui travaille, qui chasse. Elle n'est pas dans les codes de l'époque, mais elle sait les utiliser. Elle connaît bien l'Afrique, et elle regarde les pygmées comme le font les Africains. Elle devinera avant tout le monde qu'ils forment un couple. C'est aussi une femme d'affaires qui n'oublie jamais où est son intérêt. Mais elle va se laisser apprivoiser par les pygmées, surtout par Likola, qui la désarme. Elle est émue par sa grossesse. Quand elle comprend qu'à sa façon Jamie a "dompté" les pygmées, son regard sur lui change. Elle va tomber amoureuse de lui, mais au lieu de montrer ses sentiments, car nous sommes à l'ère victorienne, elle lui parle d'argent, d'association. Du coup Jamie la voit comme une femme avide, et pas comme une femme amoureuse. Elena admire que Jamie soit prêt à renoncer à tout pour sauver Likola. Elle-même en serait-elle capable ? La fin est ambiguë, comme le visage de Kristin, qui révèle autant qu'il cache. Il n'y a pas eu d'histoire d'amour entre Jamie et elle. Mais quand elle dit qu'elle retourne en Afrique, parce que c'est là où son cœur se trouve, de qui parle-t-elle ? De son mari défunt ? De Jamie ? De son passé ou de son avenir ?Avez-vous écrit ce personnage avec Kristin Scott Thomas en tête ?J'ai su très tôt qu'elle serait Elena. Nous nous étions croisés, et avons organisé un déjeuner sans but précis, pour mieux se connaître. A l'époque, je commençais à travailler sur la continuité, j'étais entre deux séances de "séminaires". Elle m'a demandé sur quel projet je travaillais, et j'ai répondu : "J'ai commencé un travail en langue anglaise. Au début, il y a une femme dans la jungle, un fusil à la main". Elle répond aussitôt : "En entendant cette phrase n'importe quelle actrice vous dirait oui. Donc c'est oui." Le déjeuner fut très agréable… En plus de l'actrice que j'admire, j'apprécie Kristin en tant que personne. Elle est originale, fantasque, inattendue. Sa part anglaise fait d'elle une femme différente, forte, solide. Ensuite, je l'ai tenue au courant du développement du scénario, comme je l'avais fait avec Catherine Deneuve sur "Indochine". Quand elle a lu la version finale du scénario, elle a réitéré son accord : "Te ne nous as pas trahis. Ce que tu m'avais raconté est dans le scénario".Comment avez-vous vécu ce tournage épique, avec une équipe technique principalement anglaise ?On a appris à se connaître. J'avais une équipe formidable. Il a fallu que je m'impose à eux. D'abord, c'était la première fois que ces techniciens anglais voyaient un metteur en scène ne pas rester assis derrière son combo. Je ne veux pas d'un combo sur le plateau, avec toute l'équipe qui glousse derrière. J'ai eu un cadreur anglais exceptionnel, en qui j'ai eu tout de suite confiance. Et puis j'ai été photographe, donc je connais les focales, la profondeur de champ. J'ai appris à travailler comme ça. De même que je ne vois pas les rushes. Cela remonte à "Indochine". De toute façon, sur ce film, les rushes étaient développées à Johannesburg, puis partaient à Londres, et arrivaient à Paris avec dix jours de retard.
Ensuite, les techniciens ont vu que j'étais toujours sous la caméra, au plus près des acteurs. Je montre, je vais dans les cages, je vais dans l'eau, je reste près de la caméra, en combinaison de plongeur, et non au sec, à distance, avec des écouteurs. Et puis, ils avaient choisi de travailler sur ce film, long et qui se tournait loin de chez eux parce que le sujet, l'ambition, l'ampleur du projet leur plaisait. Mais je ne serais pas parti sur un film aussi chargé de défis sinon de problèmes techniques sans avoir à mes côtés des gens en qui j'avais une totale confiance, et avec lesquels j'avais déjà travaillé. En un mot, je ne me serais pas lancé dans cette aventure sans Laurent Dailland comme directeur de la photo, sans Pierre-Yves Gayraud aux costumes ou Guillaume Sciama au son. La première semaine de tournage nous a rapidement soudés, anglais et français. On tournait dans le décor de la cascade. On n'avait prévu de n'y tourner que le début, mais une fois sur place on a décidé d'y faire aussi la fin. Du coup, comme on était à deux heures de piste de la ville, on a tous campé sur place. Cent vingt petites tentes, avec douches en commun, et un grand barnum pour les repas, ça rapproche vite une équipe.Est-ce différent de travailler avec des acteurs anglais ?Les acteurs anglais sont de vrais bosseurs. Ils sont préparés, ils connaissent les dialogues, les leurs et ceux des autres. Ils ont étudié le parcours des autres personnages autant que le leur, et font des remarques très constructives sur tous les rôles. Ils exigent le "line up", c'est-à-dire que la mise en place se fait avec eux. Souvent, le réalisateur met en place la caméra, les axes, la lumière avec son équipe, puis on fait venir les acteurs. Tandis que cette fois, il était hors de question que je choisisse la place de la caméra ou le découpage sans eux. Par pudeur, du coup, je faisais la mise en place avec les acteurs seuls, presque comme pour une répétition de théâtre. Donc, ils arrivaient sur le plateau en même temps que moi. Et chacun défendait, de façon constructive, exigeante, voire antagoniste, son personnage, sa situation dans la scène, sa position, son déplacement, son rapport avec les autres, etc... On faisait réellement le tour de la scène, en tenant compte du point de vue de chaque personnage, et après, on étaient prêts. Alors seulement, on faisait venir les techniciens, et les acteurs jouaient la scène pour eux, deux ou trois fois, et ce n'est qu'ensuite qu'ils allaient se préparer, se faire maquiller, etc. Ils étaient vraiment avec moi, de mon coté, et ils m'ont beaucoup apporté. Si vous aimez travailler avec eux, ils vous respectent et vous soutiennent.Aujourd'hui, est-ce que le film ressemble à celui que vous aviez en tête ?A-t-on jamais le film en tête ? J'ai été fier et très ému par la réaction de Kristin Scott-Thomas la première fois qu'elle a vu le film. A la fin de la projection, elle m'a dit : "Tu nous a fait rêver d'un film. Et bien le film est à la hauteur de ce rêve, et c'est très rare..."
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Critiques
- Un film d'aventures passionnant de bout en bout. Kristin Scott Thomas est impeccable.
France Soir - Une fresque généreuse et humaniste très bien servie par Joseph Fiennes et Kristin-Scott Thomas.
Télé Ciné Obs - Du cinéma comme on l'aime. Une histoire forte, servie par des comédiens convaincus et engagés, racontée par un metteur en scène qui affectionne faire son métier pour provoquer des émotions et offrir du spectacle tout en donnant à penser et à réfléchir.
Ouest France - Une réussite.
Le Monde - Une fable humaniste autour du "mythe du sauvage" qui fait froid dans le dos, réalisée avec brio et sans sentimentalisme.
Première - Un film d'aventures mêlant joyeusement lyrisme, spectaculaire et imagerie naïve, que lequel plane une cruauté typiquement britannique, où c'est l'âme d'une société qui est disséquée au scalpel.
Télérama - Un film d'aventures élégant et efficace. Une fresque morale remontant aux origines du racisme.
Paris Match - Une mise en scène fluide et claire qui démontre son efficacité.
Positif
- Un film d'aventures passionnant de bout en bout. Kristin Scott Thomas est impeccable.
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Récompenses
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Festival de Berlin 2005
En Compétition
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Festival de Berlin 2005
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Drame
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